1. Les intervenants

Une vingtaine d’experts interviennent tout au long du documentaire. Leur répartition peut sembler équitable : onze d’entre eux font ouvertement la promotion de la vaccination, et neuf ont adopté des positions ambiguës ou franchement hostiles à la vaccination. Cet équilibre apparent ne reflète cependant en rien l’interprétation admise majoritairement dans le monde scientifique, où la vaccination est largement soutenue (citons par exemple une étude du PEW Research Center indiquant que 86% d’entre eux souhaitent rendre la vaccination MMR et polio des enfants obligatoire ; et rien n’indique que les 14% souhaitant laisser le choix aux parents soient opposés au vaccin pour autant !).

Le documentaire précise le nombre des publications de chaque intervenant et signale un éventuel conflit d’intérêts : ceci n’est pas valable pour les experts historiques qui apparaissent dans des images d’archives.   Dans la structure du film apparaissent en premier lieu les avocats de la vaccination, pour une présentation générale, leur  position n’étant d’ailleurs pas précisée. Dans une seconde séquence, un long temps est laissé aux scientifiques ayant pris des positions ambiguës ou franchement opposées à la vaccination, avant une conclusion donnant la parole à des scientifiques soutenant la vaccination mais ne s’exprimant que sur un objet d’études scientifiques récent : le microbiote.

Voici donc une présentation succincte de ces scientifiques :

1) Gregory Poland

Médecin, professeur à la Mayo Clinic et rédacteur en chef de la revue Vaccine, il a ressenti des acouphènes peu de temps après sa vaccination contre le coronavirus, mais maintient qu’il est nécessaire de se faire vacciner. Il conserve une attitude scientifique, il n’établit pas de lien de cause à effet avec le vaccin, et estime qu’il est intéressant de rechercher de potentiels liens de cause à effet lorsque des signaux apparaissent en pharmacovigilance. Il a aussi été victime de harcèlement :  une personne s’est même introduite dans son laboratoire à cause de ses prises de position en faveur de la vaccination et sa dénonciation des fausses affirmations liant vaccin et autisme ; ceci n’est cependant pas abordé dans le cadre du documentaire.

2) Geneviève Farrachi

Ce médecin généraliste est l’auteur d’un livre (Geneviève Barbier et Armand Farrachi : La société cancérigène).  G. Farrachi est également signataire de nombreuses pétitions contre les vaccins aux côtés de Romain Gherardi (E3M), Laurent Mucchielli (tribune sur QG) et commente les publications de la sphère antivax (AIMSIB, cyberacteurs…). Elle dénonce l’utilisation de sels d’aluminium dans les vaccins, donne des conférences en évoquant des liens entre vaccination et autisme… Elle se situe donc clairement dans un réseau de désinformation scientifique sur les vaccins et n’a aucune légitimité à apparaître dans un documentaire sérieux sur la vaccination.

3) Hervé Le Bras

Démographe et historien, il nuance la gravité de la pandémie de Covid19 tout en prenant position contre Didier Raoult mais n’est pas un expert reconnu des vaccins.

4) Malte Thießen

Cet historien s’est exprimé contre l’obligation vaccinale, sans s’opposer à la vaccination. Il estime en effet que la confiance doit primer sur l’obligation. Il pointe notamment l’influence des réseaux naturopathes, faisant remonter leur histoire à la “Lebensreform” allemande de la fin du 19e siècle. Pour lui, “les campagnes médiatiques, l’éducation, la gestion transparente des effets secondaires et les offres de vaccination accessibles ont été plus efficaces que la pression de l’État ou même les mesures coercitives”. Il n’est pas amené à exprimer une telle prise de position en faveur de la vaccination dans le documentaire.

5) William Foege

Cet ancien directeur du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies est un défenseur de la vaccination. Il s’est illustré par une stratégie de vaccination en anneau dans un contexte de ressources limitées, lorsqu’on manquait de vaccins pour éradiquer la variole. C’est en ce sens qu’il a émis des recommandations sur la priorisation de la vaccination contre le coronavirus. Il indique clairement qu’il faut vacciner le monde entier, préconisant la vaccination générale et critiquant la gestion de la pandémie aux Etats-Unis. Le documentaire n’exploite que le cas particulier du manque de vaccins dans une situation très précise, il y a 50 ans, sans lui faire exprimer sa position sur la vaccination générale de toute la population qu’il défend par ailleurs lorsque les ressources sont suffisantes.

6) Guillaume Béraud

Infectiologue à Poitiers, il se dit très critique à l’égard du documentaire, qui, selon lui, a une tonalité anti-vax marquée en accordant une place considérable aux “inconvénients” des vaccins au détriment de leurs bénéfices. Il y apparaît quelques minutes après avoir accordé un entretien de deux heures. Pourtant, il fait partie des scientifiques ayant rédigé les recommandations de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) incitant à la vaccination.

7) Ursula Wiedermann

Professeur de vaccinologie à Vienne, elle a travaillé dans le cadre d’essais cliniques avec des patients immunodéprimés. Le vaccin stimulant le système immunitaire, il est évident qu’une personne immunodéprimée n’aura pas toujours un taux d’anticorps suffisant après vaccination. Mais cette spécificité n’empêche pas Ursula Wiedermann de recommander la vaccination globale, justement pour protéger les personnes les plus fragilisées.

8) Michel de Lorgeril

Dénonciateur d’un “complot” du cholestérol, il est un des membres fondateurs de l’Association Internationale pour une Médecine Scientifique, Indépendante et Bienveillante (AIMSIB), une association antivax notoire. Cette association est notamment partenaire du documentaire “Effets secondaires : la face cachée des vaccins” où apparaissent les célébrités antivax Christine Cotton, Michèle Rivasi, Laurent Mucchielli et l’avocat des gourous et des antivax Jean-Pierre Joseph.

9) Peter Aaby

Cet anthropologue a rejoint le groupe antivax Children Health’s Defense de Robert Kennedy Jr., pointé comme étant un des plus grands profiteurs de la pandémie par le Center for Countering Digital Hate (CCDH). Il publie des études très contestées scientifiquement, notamment sur des effets négatifs  “non-spécifiques” de la vaccination remis en cause parce que ses études contiennent des biais de sélection et ont des échantillons trop faibles. Lui-même avait pourtant admis un effet protecteur du vaccin…

10) Romain Gherardi

Professeur de neurologie et de neuropathologie, il est célèbre pour sa critique de l’aluminium dans les vaccins, entraînant ce qu’il nomme “myofasciite à macrophages”. Il obtient des crédits de recherche notamment grâce à l’appui d’une association dont il est proche et présumant l’existence de cette maladie, E3M. Il obtient également des financements de groupes antivax pour ses études (Children’s Medical Safety Research Institute CMSRI), qui comportent de nombreuses erreurs et autant de biais. Il a été remarqué par ailleurs que la myofasciite à macrophages n’a été détectée qu’en France, et seulement dans une période de temps donnée où Romain Gherardi exerçait à Paris… Une pathologie très endémique ! Sa présence aux côtés des antivax Luc Montagnier et Andrew Wakefield à la conférence de Michèle Rivasi autour du film “Vaxxed” n’est donc pas étonnante…

11) Peter Gøtzsche

Ce professeur a cofondé l’organisation Cochrane, très respectée, visant à organiser de manière systématique les informations concernant la recherche médicale. Malheureusement, après avoir été une référence de la médecine basée sur les preuves (Evidence-based Medicine), il a commencé à s’approcher des lobbys antivax comme les Physicians for Informed Consent (PIC), s’affichant de plus en plus avec eux.

12) Peter Doshi

La réputation antivax de cet éditeur au British Medical Journal (BMJ)  n’est plus à faire dans le monde scientifique. En effet, il a écrit de nombreuses lettres aux éditeurs pour critiquer les vaccins dans diverses publications, et s’est servi du BMJ pour critiquer de façon non pertinente les essais cliniques sur les vaccins contre le sars-cov-2, ou leur utilité. Ses affirmations ont été systématiquement rejetées par la communauté scientifique.

13) Tom Jefferson

Après avoir été membre du Cochrane, il est devenu un militant antivax connu, ayant par exemple combattu la vaccination des enfants, intervenant dans les médias connus des antivax comme la radio de Gary Null. Il n’est donc pas étonnant de le voir prétendre que les masques seraient inutiles pour se protéger du Covid…

14) Diane Harper

Spécialiste du Gardasil, elle s’est progressivement rapprochée des mouvements antivax comme le National Vaccine Information Center (NVIC) critiquant par exemple  ce vaccin dans l’émission de Katie Couric. Elle nie par exemple l’intérêt de la   prévention de cancers ou prétend que le vaccin HPV ne serait efficace que 5 ans, ce qui est faux.

15) Martin Friede

Cet expert s’est exprimé auprès de  l’Organisation Mondiale de la Santé, mais son discours a été tronqué et a circulé sur les réseaux sociaux à l’initiative de l’antivax Del Bigtree, faisant croire qu’il serait contre les vaccins à cause des adjuvants, ce qui n’est pas le cas.

16) Mark Davis

Spécialiste du microbiote qui ne s’oppose pas du tout aux vaccins, il est au contraire co-auteur d’une étude incitant à des doses de rappel pour le vaccin contre le Sars-Cov-2.

17) Thomas Pradeu

Il s’est exprimé sur le contenu global du documentaire, dans le cadre duquel il ne prenait la parole qu’au sujet du microbiote : il se distancie des propos du documentaire des vaccins. Il est un défenseur de la vaccination mais n’a pas eu l’occasion d’aborder  ce sujet dans le documentaire.

18) Gérard Eberl

Spécialiste du microbiote, ses propos sont détournés dans le documentaire, comme ceux de Mark Davis, pour faire croire que ses théories s’opposeraient à la vaccination, ce qui n’est pas le cas.

19) Heidi Larson

Spécialiste de l’hésitation vaccinale, elle insiste sur la qualité de l’information transmise pour un choix libre et éclairé. Elle défend la vaccination et cherche des moyens de convaincre la population pour que les hésitants retrouvent confiance. Son propos dans le documentaire ne lui permet pas d’exprimer les intérêts et avantages de la vaccination.

20) Jean Dausset

Prix nobel de physiologie ou médecine en 1980, découvreur du HLA (human leucocyte antigen), il a tout de même préfacé le livre de Jean Seignalet, connu pour son régime controversé… Il a au moins cet élément en commun avec un certain professeur Henri Joyeux, ayant également préfacé Seignalet, un antivax notoire.

Comme on le voit dans la structure même du documentaire, le consensus scientifique n’est pas correctement représenté :

Des scientifiques compétents et reconnus ne peuvent qu’introduire le sujet, entrecoupés de voix-off déformant le propos et accompagnés d’experts plus circonstanciels comme des historiens, avant que le documentaire ne fasse la part belle à des scientifiques rejetés par leurs pairs, très minoritaires, peu pertinents et appartenant à des lobbies antivax. La fin du documentaire se focalise sur une théorie faisant intervenir le microbiote, comme si l’utilité de ce dernier était menacée par les vaccins, ce que ne défendent en rien les intervenants, plutôt favorables à la vaccination. Dès lors, il n’est pas étonnant de voir des réactions très critiques de la part des scientifiques favorables à la vaccination qui interviennent dans ce documentaire.

Pour mieux comprendre ce choix peu représentatif de la communauté scientifique, il est intéressant de se pencher sur l’équipe derrière ce documentaire. Il a été réalisé par Anne Georget, qui n’est autre que la fille de Michel Georget, un militant anti-vaccins notoire. Ce dernier était membre du CRIIGEN et a publié plusieurs ouvrages sur les vaccins, notamment “Vaccinations, les vérités indésirables”. Il a également présidé la ligue nationale pour la liberté vaccinale. Elle avait déjà réalisé d’autres documentaires trompeurs pour Arte comme “Maladies à vendre” ou encore “Cholestérol, le grand bluff”, deux documentaires polémiques vivement critiqués par la communauté scientifiqueValérie Salvy officiait déjà au montage.

Anne Georget est conseillée à l’écriture par Thierry de Lestrade, réalisateur prolifique qui, avec Sylvie Gilman, également remerciée dans le documentaire, a produit de nombreux contenus désinformant le public. On peut citer “A la recherche de la jeunesse perdue”, “le jeûne, une nouvelle thérapie ?”, “Demain, tous crétins ?”, “Mâles en péril”, “Vers un monde altruiste ?”… 

Jean-Christophe Ribot est le second conseiller à l’écriture. Son statut de lecteur pour les commissions sélectives du CNC a pu aider. Pas très étonnant de le retrouver à l’origine d’un étrange documentaire en compagnie de Charles-Maxence Layet (soutien officiel de l’INREES, repère connu de pseudoscientifiques hostiles aux vaccins), intitulé sous le feu des ondes” et également diffusé sur Arte. Ce documentaire fait intervenir divers fraudeurs scientifiques, dont le détenteur du prix du “Trompeur de l’année 2004” : Olle Johansson.

Le lien avec Maxence Layet, auteur d’articles antivax dans le magazine Nexus, est d’autant plus intéressant à souligner que c’est un assistant parlementaire de Michèle Rivasi, la célèbre eurodéputée antivax. Cette dernière a d’ailleurs rédigé la préface du livre de Michel Georget…

Le documentaire est produit par Quark Productions (Juliette Guigon et Patrick Winocour), soutenu par le CNC et la région Ile-de- France. Dans les remerciements apparaissent :

– Charlotte Brives, anthropologue des sciences ayant donné une interview dans Le Média pour critiquer “Big Pharma” en faisant la promotion de la phagothérapie, à l’intérêt pourtant limité. (Ce sujet a par ailleurs aussi fait l’objet d’un documentaire Arte peu sérieux…)

– Bruno Canard, qui affirmait chez Blast que le vaccin n’était pas efficace contre le variant Omicron.

– Rebecca Chandler, une scientifique qui a pris diverses positions contre les vaccins, notamment en publiant aux côtés de Peter Gotzsche et Tom Jefferson, mais fort heureusement critiquée par la communauté scientifique jusque dans le British Medical Journal.

– Alberto Donzelli, qui a pris position contre les masques, s’est associé à un médecin homéopathe pour vanter la quercétine contre le coronavirus, tout en critiquant la vaccination. (Il est membre d’un groupe de pression antivax en Italie, nommé “commissione medico scientifica indipendente”).

– Bijan Esfandiari, un avocat impliqué dans les groupes de pression anti-vaccin HPV, qui apparaît aux côtés de Robin McCall et Nicole Maldonado, également remerciés.

– Leemon McHenry qui a écrit un livre contre la médecine basée sur les preuves.

La teneur générale des propos des contributeurs oscille entre neutralité et engagement contre les vaccins. C’est bien là qu’apparaît le plus net déséquilibre. A tel point que le nom de Marc Girard, dans cette liste de remerciements, est ambigu. S’agit-il du professeur de l’Institut Pasteur, président d’Eurovac ? Ou s’agit-il de son homonyme qui n’a pas hésité à militer dans le réseau antivax réinfocovid, et à accepter l’interview de Jérémie Mercier, un coach de “santé naturelle” parlant d’”arnaque vaccinale” et développant les théories d’Antoine Béchamp ? Dans son interview, ce dernier Marc Girard insulte Irène Frachon puis affirme que les vaccins contre le sars-cov-2 ne sont pas des “vaccins” mais des “empoisonnements”. Il fait partie du groupe antivax “World Association for Vaccine Education”, WAVE. Mais il est surtout un proche de l’AIMSIB de Michel Georget

Bibliographie

En raison de la nature très diverses des sources (articles de presse, articles scientifiques, interviews, rapports, publications sur les réseaux sociaux) alimentant ce chapitre, il a été décidé de ne pas fournir de bibliographie de fin, car elle était illisible. Les sources des affirmations avancées sont proposées sous forme de liens hypertextes partout où cela est nécessaire. Chaque source est toutefois répertoriée et décrite dans notre bibliothèque Zotero, et un accès peut être donné si besoin est aux journalistes, vidéastes ou autres professionnels. En cas de lien mort, un clic simple sur l’hyperlien vous donnera son adresse complète, qui peut être utilisée dans divers outils d’archives pour en retrouver le contenu.

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