Robert Malone : le scientifique spécialisé en vaccination qui diffusait de la désinformation vaccinale

Robert Malone affirme avoir inventé la technologie ARNm. Pourquoi fait-il tant d’efforts pour en saper l’utilisation ?

Par Tom Bartlett

Collage of Robert Malone's face and criss-crossed syringes

Robert Malone, médecin et chercheur en maladies infectieuses, a récemment suggéré que les vaccins Pfizer et Moderna pourraient en fait aggraver les infections au COVID-19. Il a gloussé en imaginant Anthony Fauci annoncer que la campagne de vaccination était une énorme bévue (« Oh mince, j’avais tort ! ») et qu’il fallait y renoncer. Lorsqu’il a évoqué ce scénario cauchemardesque lors d’un récent entretien en podcast avec Steve Bannon, les deux hommes ont eu l’air presque ravis à l’idée que les responsables de la santé publique et les entreprises pharmaceutiques connaissent un juste retour de bâton. « C’est une catastrophe« , a déclaré Steve Bannon, souriant à son invité. « Vous l’entendez de la bouche de quelqu’un qui a inventé le [vaccin] ARNm et qui a consacré sa vie aux vaccins. Il est le contraire d’un antivax« .

Avant d’aller plus loin, précisons que le débat entre Bannon et Malone était fondé sur des informations erronées. Il a été démontré à plusieurs reprises que les vaccins contribuent à prévenir les formes symptomatiques des infections à coronavirus et à en réduire la gravité. Malone s’appuyait sur une phrase maladroite d’un article de USA Today, qui a ensuite été supprimée, mais pas avant d’avoir été capturée et largement partagée.

Bannon's War Room (2019)

Ce genre de conversation enflammée, aux sources bien fragiles, est la denrée ordinaire des émissions comme celle de Bannon, qui s’appuie sur un ensemble d’affirmations qui semblent tristement familières : Les vaccins sont plus nocifs que ne le laissent entendre les experts, Fauci est un menteur et sans doute un fasciste, et les grands médias sont soit des complices éhontés, soit trop bêtes pour comprendre ce qu’il se passe vraiment.

Dans cet univers médiatique alternatif, Robert Malone est une étoile montante. Il a commencé à apparaître il y a quelques mois dans des podcasts et des émissions d’information sur le câble, se présentant comme un expert scientifique, affirmant que le processus d’approbation des vaccins avait été imprudemment précipité. Il a déclaré à Tucker Carlson que le public ne disposait pas de suffisamment d’informations pour décider s’il devait ou non se faire vacciner. Il a déclaré à Glenn Beck qu’il était contraire à l’éthique d’inciter à la vaccination. Il a dit à Del Bigtree, militant anti-vaccins opposé aux vaccinations de routine des enfants, que les recherches sur la façon dont les vaccins pouvaient affecter le système reproductif des femmes étaient insuffisantes. D’émission en émission, Malone, qui a rapidement accumulé plus de 200 000 adeptes sur Twitter, jette le doute sur la sécurité des vaccins tout en dénonçant ce qu’il considère comme des tentatives pour censurer la dissidence.

Où qu’il apparaisse, Malone est présenté comme l’inventeur des vaccins à ARNm. C’est dans sa bio Twitter. « J’ai littéralement inventé la technologie ARNm quand j’avais 28 ans« , déclare M. Malone, maintenant âgé de 61 ans. Si cela est vrai – ou, plus précisément, si M. Malone le croit – on pourrait s’attendre à ce qu’il défende un message très différent lors de ses apparitions médiatiques.

Selon une étude récente, l’innovation dont il prétend être responsable a déjà sauvé des centaines de milliers de vies rien qu’aux États-Unis ; on dit qu’elle pourrait bientôt donner lieu à une série de prix Nobel. C’est le genre de validation que peu de scientifiques dans l’histoire ont reçu. Pourtant, au lieu de crier victoire, Malone est devenu l’un des critiques les plus bruyants de de son œuvre présumée. Il a semé le doute sur les vaccins Pfizer et Moderna sur à peu près tous les podcasts et toutes les chaînes YouTube qui l’acceptent.

Pourquoi l’inventeur autoproclamé des vaccins à ARNm travaille-t-il si dur pour les saper ?

La question de savoir si Malone est vraiment à l’origine des vaccins à ARNm est une question qu’il vaut mieux laisser au comité du prix Nobel, mais on pourrait plaider en faveur de son implication. Lorsque j’ai appelé Malone dans sa ferme équestre de 50 acres en Virginie, il m’a dirigé vers un essai de 6 000 mots rédigé par sa femme, Jill, qui révèle pourquoi il pense être le premier découvreur. Ainsi commence-t-il : « C’est une histoire de cupidité académique et commerciale« . Le ton du document est acerbe et exprime parfois en une fureur débridée. Elle présente son mari comme un scientifique de génie qui est « généralement inconnu de la communauté scientifique à cause d’abus commis par des individus désireux de s’assurer une place dans les livres d’histoire« .

La version courte est la suivante : lorsque Malone était étudiant diplômé en biologie à la fin des années 1980 au Salk Institute for Biological Studies, il a injecté du matériel génétique – ADN et ARN – dans des cellules de souris, dans l’espoir de créer un nouveau type de vaccin. Il a été le premier auteur d’un article publié en 1989 démontrant comment l’ARN pouvait être introduit dans les cellules à l’aide de lipides, qui sont en fait de minuscules globules de graisse ; et il est le co-auteur d’un article publié en 1990 dans Science montrant que l’injection d’ARN ou d’ADN pur dans des cellules musculaires de souris pouvait entraîner la transcription de nouvelles protéines. Si la même approche fonctionnait pour les cellules humaines, était-il écrit en conclusion de ce dernier article, cette technologie « pourrait fournir des approches alternatives pour le développement de vaccins.« 

Ces deux études représentent effectivement des travaux fondamentaux dans le domaine du transfert de gènes, selon Rein Verbeke, chercheur postdoctoral à l’université de Gand, en Belgique, et principal auteur d’un historique de 2019 sur le développement des vaccins à ARNm. (En effet, les études de Malone sont les deux premières références de l’article de Verbeke, sur 224 au total). Verbeke m’a dit qu’il pensait que Malone et ses co-auteurs « ont suscité pour la première fois l’espoir que l’ARNm pourrait avoir un potentiel en tant que nouvelle classe de médicaments« , mais il constate également que « la réalisation des vaccins à ARNm d’aujourd’hui est le produit de nombreux efforts de collaboration.« 

Malone affirme qu’il ne s’est pas contenté de susciter l’espoir. Il a abandonné ses études supérieures en 1988, juste avant d’obtenir son doctorat, pour partir travailler dans une entreprise pharmaceutique appelée Vical. Il affirme aujourd’hui que le Salk Institute et Vical ont profité de son travail et l’ont surtout empêché de poursuivre ses recherches. (Un porte-parole du Salk Institute a déclaré que rien dans les dossiers de l’institut ne corrobore les allégations de Malone. La société de biotechnologie dans laquelle Vical a fusionné, Brickell, n’a pas répondu aux demandes de commentaires). Dire que M. Malone reste amer face à ce qu’il considère comme un mauvais traitement ne rend pas compte de son sentiment d’injustice. Il qualifie ce qui lui est arrivé de « viol intellectuel« .

L’une des cibles de la colère de Malone, la biochimiste Katalin Karikó, a été présentée dans de nombreux reportages comme une pionnière des vaccins à ARNm. CNN a présenté ses travaux comme « base du vaccin Covid-19« , tandis que le New York Times a titré qu’elle avait « contribué à protéger le monde du coronavirus« . Aucun de ces articles ne mentionnait Malone. « J’ai été rayé de l’histoire », a-t-il déclaré. « Il n’est question que de Kati. » Karikó m’a transmis un courriel que Malone lui a envoyé en juin, l’accusant de fournir aux journalistes de fausses informations et de monter ses propres réalisations en épingle. « Cela ne va pas bien se terminer« , dit le message de Malone.

Vaccin : Katalin Kariko, la biochimiste un temps méprisée, qui a mis au  point la technique de l'ARN messager
Katalin Karikó, biochimiste hongroise spécialisée dans la technique ARN messager

Mme Karikó a répondu qu’elle n’avait dit à personne qu’elle était l’inventrice des vaccins à ARNm et que « beaucoup, beaucoup de scientifiques » avaient contribué à leur succès. « Je n’ai jamais prétendu avoir fait autre chose que découvrir un moyen de rendre l’ARN moins inflammatoire », lui a-t-elle écrit. Elle m’a dit que Malone s’était présenté dans un courriel comme son « mentor » et son « coach« , bien qu’elle affirme qu’ils ne se sont rencontrés en personne qu’une seule fois, en 1997, lorsqu’il l’a invitée à donner une conférence. Selon Karikó, c’est Malone qui a exagéré ses réalisations. Il y a « des centaines de scientifiques qui ont contribué plus que lui aux vaccins à ARNm« .

Malone insiste sur le fait que son avertissement à Karikó, selon lequel « cela ne va pas bien se terminer », n’était pas une menace. Selon lui, il a en fait suggéré que ses exagérations seraient bientôt révélées. M. Malone considère que Karikó est une scientifique de plus à se tenir sur ses épaules et récolter des éloges qui devraient lui revenir. D’autres ont été généreusement récompensés pour leurs travaux sur les vaccins à ARNm, dit-il. (Karikó est vice-président senior chez BioNTech, qui s’est associé à Pfizer pour créer le premier vaccin COVID-19 dont l’utilisation a été autorisée l’année dernière). Malone n’est pas exactement à la rue : en plus d’être médecin, il a été consultant en vaccins pour des sociétés pharmaceutiques.

Quoi qu’il en soit, il apparaît assez clairement que Malone n’est pas le seul à qui on doive les vaccins à ARNm. Le processus de réalisation d’avancées scientifiques majeures est plus cumulatif et plus complexe que les histoires que l’on raconte habituellement, mais on peut dire avec certitude que Malone a participé à des travaux révolutionnaires liés aux vaccins à ARNm avant que cela ne soit à la mode ou rentable ; et lui et d’autres qui ont cru au potentiel des vaccins à base d’ARN dans les années 1980 ont eu raison de penser que cela sauverait le monde.

Quoiqu’il fréquente les vaccino-sceptiques, Malone insiste sur le fait qu’il n’en est pas un lui-même. Ses objections à l’encontre des vaccins Pfizer et Moderna sont principalement liées à leur processus d’approbation accéléré et au système gouvernemental de suivi des effets indésirables. En tant que médecin, il ne recommanderait probablement leur utilisation qu’aux personnes les plus vulnérables au COVID-19. Tous les autres devraient se méfier, m’a-t-il dit, et les moins de 18 ans devraient être complètement exclus. (Le 23 juin, une déclaration de plus d’une douzaine d’organisations et d’agences de santé publique a vivement encouragé toutes les personnes éligibles de 12 ans et plus à se faire vacciner, car les avantages « dépassent largement les inconvénients »). M. Malone est également frustré par le fait que, selon lui, les plaintes relatives aux effets secondaires sont ignorées ou censurées dans le cadre de la campagne nationale visant à augmenter les taux de vaccination.

Après avoir écouté Malone ou lu ses articles, vous pourriez très bien repartir avec le sentiment biaisé qu’il existe une vaste opération de dissimulation au sujet du COVID-19, et que la véritable menace est le vaccin plutôt que le virus. J’ai écouté des heures d’interviews de Malone et lu les nombreuses pages de documents qu’il a publiés. C’est un scientifique compétent habile à donner des explications claires. Qu’il ait une barbe blanche bien taillée et une voix qui conviendrait bien à une application de méditation n’est pas un mal non plus. Malone n’est pas un adepte des théories du complot les plus farfelues au sujet des vaccins COVID-19 – il ne pense pas, par exemple, que Bill Gates ait introduit des micro-puces dans les seringues – et, parfois, il riposte doucement quand les animateurs tels que Bigtree ou Beck dévient vers des sujets plus ridicules.

Aşılarda kullanılan mRNA teknolojisinin mucidi: Hükümet riskler konusunda  şeffaf değil
Robert Malone

Et pourtant, il se laisse régulièrement aller à des spéculations qui se révèlent trompeuses ou, comme dans le cas du passage de l’émission de Bannon, carrément fausses. Par exemple, il a récemment tweeté que, selon un « scientifique israélien » anonyme, Pfizer et le gouvernement israélien auraient conclu un accord pour ne pas divulguer d’informations sur les effets indésirables pendant 10 ans, ce qui est difficile à croire étant donné que le ministère de la santé du pays a déjà averti d’un lien entre la piqûre de Pfizer et de rares cas de myocardite. Le compte LinkedIn de M. Malone a été suspendu à deux reprises pour avoir diffusé de fausses informations présumées.

Ses inquiétudes ont également une nature personnelle. M. Malone a contracté le COVID-19 en février 2020, et a ensuite reçu le vaccin Moderna dans l’espoir qu’il atténue ses symptômes de longue durée. Il pense désormais que les injections ont aggravé ses symptômes : il tousse toujours, souffre d’hypertension et d’une baisse d’endurance, entre autres. « Mon corps ne sera plus jamais le même« , m’a-t-il dit. Lors de ses apparitions dans les médias, il souligne souvent qu’il a des collègues au gouvernement et dans les universités qui sont de son avis et qui l’encouragent en privé. J’ai parlé avec plusieurs de ces personnes – des vaccinologues et des consultants en biotechnologie, nommés par Malone lui-même – et ce n’est pas ce qu’ils m’ont dit. Le portrait qu’ils dressent de Malone est celui d’un chercheur perspicace qui peut être têtu. Ils m’ont raconté que, avant la pandémie, il s’était fait virer de certains projets parce qu’il était difficile de communiquer avec lui et qu’il ne voulait pas faire de compromis. (Malone a reconnu son penchant pour les prises de bec avec ses collègues scientifiques). Et qu’il se manifeste comme sceptique des vaccins les déconcerte. L’un d’eux a qualifié de « naïf » son empressement à apparaître sur des podcasts peu fiables, tandis qu’un autre a déclaré qu’il pensait que la rhétorique publique de Malone était « passée d’affirmations extrapolées à sensationnelles« . Stan Gromkowski, un immunologiste cellulaire qui a travaillé sur les vaccins à ARNm au début des années 1990 et qui considère Malone comme un pionnier sous-estimé, s’exprime ainsi : « Il fout en l’air ses chances d’obtenir un prix Nobel.« 

Ce n’est que dans le monde étrange des médias alternatifs que Malone a trouvé la plateforme et la reconnaissance qu’il recherchait depuis si longtemps. Il parle à des animateurs qui ne vont pas se demander s’il est le cerveau derrière les doses de Pfizer et Moderna. Ils ne vont pas chicaner sur la question de savoir si le mérite doit être partagé avec des co-auteurs, ni dire que la science est comme une course de relais, ni souligner que, sans le travail acharné de brillants chercheurs qui sont venus avant et après Malone, il n’y aurait pas de vaccin. Il surclasse leur liste d’invités habituels, composée de chiropracteurs et de naturopathes, et ils sont tout béats de s’adresser à lui par le titre qu’il pense avoir mérité : inventeur des vaccins à ARNm.

L’ironie est que, pour les téléspectateurs qui suivent ces émissions, les vaccins sont considérés comme un fléau plutôt que comme une aubaine. Aussi nuancé que Malone puisse essayer d’être, ou quel que soit le nombre de qualificatifs dont il agrémente ses opinions, il encourage l’hésitation à l’encontre des vaccins à un moment où les hôpitaux des régions les moins vaccinées du pays luttent pour faire face à un afflux de nouveaux patients atteints du COVID-19. Pour s’en convaincre, il suffit de faire défiler les nombreux commentaires de ses followers qui le remercient d’avoir confirmé leurs craintes. Malone a finalement réussi à se faire une place en détruisant la confiance dans le vaccin-même qui, selon lui, n’aurait pu exister sans son génie. C’est une victoire, si l’on veut, mais telle que lui, comme nous tous, pourrait finalement regretter.

Traduction de l’article : The Vaccine Scientist Spreading Vaccine Misinformation

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